9 juin 2009

Le Dernier Voyage du Juge Feng

Là vous vous dîtes "Oh putain j'en ai rien à foutre !". Rassurez-vous moi aussi. Vraiment. Je l'ai vu au cinéma ce film-là. C'était pas atroce. C'était même pas chiant. C'était juste une sorte de "black-out" dans ma journée, et dans ma vie. C'est un trou d'une heure et demi dans ma vie, dont j'ai tout oublié. J'en ai un autre qui a duré près de six heures mais c'était pour le Nouvel An 2007, suite à un coma éthylique. J'en ai aussi eu un autre dixit mon père, qui a duré la bagatelle de trois heures, juste après ma naissance. J'ai cessé de respirer pendant trois plombes. Tout le monde était persuadé que j'étais mort et ils m'ont jeté à la poubelle. Trois heures après je revenais à la vie en crachant mes poumons, le cerveau oxydé et les yeux révulsés. J'ai été mort pendant trois heures. D'après les médecins c'est un miracle que je sois capable d'écrire ces lignes à l'heure qu'il est. C'est pas que je sois débile, non, simplement mon corps est partiellement atrophié depuis cet accident cérébral, et mes doigts sont des merdes. Ce que ces cons de docteurs ignorent c'est que je tape les touches avec mes deux couilles. Et vu qu'elles sont énormes, celle de gauche s'occupe de la partie "AZERT" de mon clavier, et la droite s'octroie la partie "YUIOP". A chaque fois que je fais un espace mes gros roustons font bravo en se ruinant l'un contre l'autre, mais je suis progressivement devenu insensible à la douleur. Frappez-moi en-dessous de la ceinture, je ne ressens rien. Mais faîtes une remarque sur mes crayons ou mes yeux exorbités et je prends la mouche.



Bref c'est pas de ça dont je voulais parler, ça c'est la partie intime de ma vie et j'ai autre chose à faire que l'étaler sur un blog. Ce que je voulais dire c'est que je ne parlerai pas de ce film, qui est assez insignifiant. Je veux plutôt parler d'un phénomène que j'ai pu constater un certain nombre de fois et qui est agaçant. Le Dernier voyage du juge Feng est un tout petit film chinois sans prétention et sans importance, sorti en catimini en France et ailleurs. Personne n'en a parlé et c'est pas plus mal puisqu'il n'y a strictement rien à en dire. Quand je suis allé le voir, il y avait une dizaine de personnes dans la salle. Pour la plupart des gens entre deux âges, de bons parents cinquantenaires délaissés par leurs étudiants d'enfants, des soixante-huitards attardés, des socialistes retraités et sympathiques. D'ailleurs Daniel Cohn-Bendit était assis à ma gauche, le vieux rouqmoute avec ses boucles chenues, ses lunettes à triple foyers, son grain de beauté qui se fait la malle au coin du nez et son fameux t-shirt blanc décathlon planqué sous sa légendaire chemise ocre et blanc cassé. Il sentait la Mort dans ses frusques de révolutionnaire de mes deux, et la Mort je la connais pour avoir passé trois heures en tête à tête avec elle dès ma naissance, à débattre sur mon droit de vivre ou d'y passer. Il fait partie de ces gens-là qui vont souvent voir ce genre de films, intrigués par le petit artisanat du terroir chinois dont Télérama a plus ou moins fait les louanges, en parlant de simplicité et de vérité profonde tout en racontant l'histoire du film, celle de ce vieux chinois parcourant à dos d'âne les montagnes reculées de la vieille Chine, encore miraculeusement épargnée par la mondialisation, voire même par toute forme de civilisation. L'histoire si touchante de ces gens de l'arrière pays qui vivent encore sans l'eau courante ni l'électricité et qui au fond gardent un peu de ce qu'il reste en ce triste monde d'humanité, coincé avec un peu de crasse et de champignons entre leurs vieux doigts de pieds.



Ces gens-là riaient, très régulièrement, comme des métronomes, à de faux gags, à des répliques pas vraiment drôles, très banales, dites sur un ton parfois particulièrement occidental dénué des modulations chantantes qui font la spécificité de la langue chinoise. Et c'est précisément pour ça que ces gens-là riaient. Ils n'auraient même pas esquissé un sourire pour les mêmes dialogues ou pour les mêmes gestes s'ils avaient été prononcés ou faits par des occidentaux dans un film occidental. Ce qui les faisait pisser de rire c'était que des chinois disent ou fassent ces choses-là comme eux. Ces situations étaient cocasses uniquement parce qu'elles étaient étonnamment chinoises. Ces gens-là ne sont pas racistes. Et ils le sont encore moins en allant voir ce film. Mais un autre racisme est là, moins dangereux, plus vicieux, une sorte de seconde couche cachée bien profond et indépendante de la première, plus tacite, plus naturelle et plus banale, mais non moins grisante. Ces gens-là rient de voir que ces chinois qu'ils supposaient si différents, si "autres", et qu'ils sont allés voir au cinéma précisément parce qu'ils sont tellement autres, ne sont finalement pas du tout éloignés de nous. Ces chinois sont finalement si simples, si naturels, si normaux, si humains... Il y a une certaine malice à rire pour un oui pour un non afin de se sentir en connivence avec ces étrangers du fond du Népal. Ces spectateurs-là, du dimanche, sortent de ce genre de film avec le sourire niais qu'impose le désir d'apprécier ces petites gens bridées si touchantes d'humanité. Leurs situations, leurs actes et leurs paroles sont plats, banals, voire redoutablement chiants mais ce sont d'authentiques petits Chinois, alors les spectateurs, ces gens-là, sont d'office parés pour rire au premier semblant de gag ou pour s'émouvoir du premier avatar de sentiment, en toute urgence, car il faut à tout prix aimer l'autre quitte à se forcer, par une complaisance inquiétante. Il y a comme une hâte à accepter l'autre et à se sentir accepté par cet autre en riant et en pleurant à son film. Cette urgence que ces gens-là éprouvent à communier avec l'étranger, à faire la paix avec lui, à l'accepter, révèle peut-être en réalité une certaine volonté exacerbée de refouler les prémices fantomatiques d'une peur de cet autre dont on craint qu'il ne nous fasse ni rire ni pleurer. Si ces gens-là rient aux phrases les moins drôles de ces Chinois c'est moins parce qu'ils s'en sentent proches que parce qu'ils ne veulent pas s'en sentir éloignés. Ils se rendent compte qu'ils ne sont au final pas si différents d'eux - ce dont ils doutaient au départ, et c'est pour ça qu'ils sont allés au cinéma, pour se rassurer. Ce genre de film permet de saisir le fond de racisme commun et latent qui sourd au fond des spectateurs de cinéma les plus foncièrement innocents. Ce racisme qui brille par son absence, ou plutôt par son revers irréprochable... Vous devez connaître la série des Livres dont vous êtes le héros ? On vient de m'offrir un livre anglais dont la couverture est blanche, censée être dessinée par celui qui l'achètera. Fameuse idée. Je vole le concept le temps d'un article. A vous d'écrire la fin. Moi je pars boulotter un gros tas de samosas (pour me sentir tout près des petits Chinois) !


Le Dernier Voyage du Juge Feng de Liu Jie avec Baotian Li (2007)

8 commentaires:

  1. Mes films préférés ça reste ceux avec des blancs. Qu'est-ce que ça veut dire ? Je suis un méga raciste avoué ? Ou je suis mieux que ces tocards qui se rassurent devant l'oncle Cheng ?

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  2. Ow quel bide cet article ma parole ! ow les mecs ! c'est censé faire réagir un max en plus ! ow ! on écrit plus vite que vous nous lisez en ce moment, c'est ça ? wooooké !

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  3. C'est un four cet article ! C'est une "Patrice Leconte" ! Dégun pour y répondre... C'est un gros échec. Chui doomed.

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  4. Je ne vous ai pas amusé ? Dites-moi que je suis amusant.

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  5. Je vous propose trois films à chroniquer :

    - Jarhead, warmovie avec Jake Guillermo del Toro
    - Les Beaux Gosses, actuellement au ciné, de Riad Tatouffe
    - Sunshine Cleaning, actuellement au ciné, avec Amy Adams.

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  6. De Sam Mendes (le tocard qui a fait Jarhead), nous prévoyons plutôt de critiquer American Beauty, un film qui nous hante depuis trop longtemps.
    Les autres sont très tentants, oui ! :)

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  7. Je suis curieux de vous lire sur American Beauty, ça me va !

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