20 octobre 2015

Cujo

Adapté d’un roman de Stephen King et réalisé par le peu connu Lewis Teague, Cujo est un film d’horreur dont la créature maléfique est un bon gros Saint-Bernard. Ca n'a peut-être l'air de rien dit comme ça, mais il vous fera vite oublier Beethoven et son clébard mélomane, boule de poils baveuse aux yeux rieurs quoique morts. Je vous entends d'ici. Non, ce film ne prétend pas que les Saint-Bernard sont de vrais bâtards, attention. Au début du film, alors que le chien est encore lui-même, on sent que ce n'est qu'un brave toutou qui a envie de jouer. Le film s’ouvre sur une ambiance pastorale de toute beauté : la caméra suit un petit lapin magnifique qui se promène, tranquille, dans la forêt. Un zoom arrière nous révèle alors, au premier plan, les pattes de Cujo, notre fameux Saint-Bernard, qui observe le lapin innocent en chien de faïence et qui s’apprête à lui couper les oreilles.




S’ensuit une course poursuite entre les deux bestiaux, et il faut bien avouer que le lapin s’en tire assez bien. Si bien d’ailleurs qu’il trouve refuge dans un terrier dont Cujo cherche à le dénicher. Mais ses aboiements agacés, la tête enfouie dans l’ouverture de la tanière, réveillent une petite tribu de chauves-souris mal lunées, et ce con de Saint-Bernard se fait mordre le bout du museau par l’un des chiroptères sorti de sa sieste. A partir de là, et de façon lente mais inéluctable, tout va changer pour Cujo. Et pas seulement pour lui, car ce chien est celui d’une petite famille, les Camber, dont le garage automobile est sis en bordure de la ville voisine.




Dans la ville en question réside une autre famille, celle de Vic et Donna Trenton, couple qui bat de l’aile, n’a plus grand chose à se dire (on sent que madame à un truc pas clair dans le placard), et qui ne trouve, pour se souder, qu’un sujet : leur fils, Tadd. Ce dernier, petit blondinet, a peur des monstres, et il va être servi. Bientôt, monsieur Trenton découvre que sa femme Donna le trompe avec un ami. L’épouse adultère est incarnée par l’actrice Dee Wallace, qui renoue avec l’horreur deux ans après le Hurlements de Joe Dante, et prend sa revanche sur son personnage d’épouse trompée dans E.T., tourné un an plus tôt, en 82. Vic, déboussolé par cette découverte, et sous le coup, car il est publicitaire, d’un scandale lié à l’empoisonnement d’enfants par des céréales contaminées (ce mcguffin s’avère révéler une véritable fixette sur les cornflakes quand, dans la scène finale, et de façon totalement gratuite, un gros paquet de Quaker Oats apparaît en plein cœur d’une scène violente où il fait sacrément tache), décide de se tirer une dizaine de jours pour prendre du recul et envisager les suites de son mariage. Donna se retrouve donc seule avec son fils et se rend avec lui chez le garagiste local, Joe Camber, pour faire réparer sa bagnole sur le point de rendre l’âme. Sauf qu’entretemps la femme (prénommée Cageot, Cageot Camber, une touche de second degré de la part des traducteurs français de Stephane King) et le fils du garagiste sont partis en vacances et que ledit garagiste, un rustre imbuvable, s’est fait bouffer par son chien, Cujo, qui a également massacré un voisin. Or, quand Donna et Tadd arrivent chez les Camber, ils ne trouvent que le Saint-Bernard pour les accueillir, et il n’est pas d’humeur.




Leur voiture ayant rendu l’âme dans la cour des Camber, la mère et le fils devront faire face au chien fou, pris au piège dans l’habitacle d’un véhicule immobilisé, sous un soleil de plomb. Qui dit personnages en huis-clos menacés par un monstre déchaîné dit Jaws, et Lewis Teague (ou Stephen King avant lui ?) y a songé, rendant un petit tribut à Spielberg quand le gamin, au début du film, en plein dîner, tente de dérider ses parents en se glissant sous la table et en mimant l’aileron d’un requin avec son cul. Sans chercher à hiérarchiser quoi que ce soit, il faut dire que le film a la bonne idée de ne pas faire de son chien éponyme une sorte de créature supérieurement intelligente (Serge Daney avait parlé, à propos de Bruce, le requin de Spielby, d’un « amas de matière grise ») qui aurait focalisé sur telle ou telle victime et n’en démordrait pas.




Le Saint-Bernard du film de Lewis Teague, une fois rentré chez lui le museau massacré par une chauve-souris, se contente de chasser tout ce qu’il croise et qui fait du bruit. Tout au plus sait-il se planquer et contourner sa proie, mais les animaux en sont capables. Ce qui ne l’empêche pas d’être terrifiant et de flirter, sans en avoir l’air, avec le fantastique. Juste avant de se faire tuer, son maître, le gros beauf Joe Camber, a le temps de penser que Cujo a la rage. Pas idiot, mais c’est peut-être plus compliqué que ça. Après avoir été mordu par une chauve-souris, le chien se cache dans des coins sombres, semble ne supporter aucun bruit (comme les créatures de la nuit qu’il a réveillées), et attaque ses victimes en les mordant au cou, aussi, difficile de s’empêcher de voir là l’un des rares spécimens de chien vampire de l’histoire du cinéma (en 89 on croisera des chats et des chiens zombies dans Simetierre, autre adaptation du King). C’est comme par hasard avec un pieu que Donna tentera à un moment de se débarrasser du iench…




Le fantastique est donc là, à portée, suggéré par cette belle scène (soignée par le directeur de la photo du film, j’ai nommé Jan de Bont, toujours dans les bons coups, enfin disons 1% du temps), survenant au premier tiers du film, où Cujo, à l’aube, sort d’une épaisse brume face au fils de son maître, quelques temps seulement après avoir été contaminé : il grogne, aboie comme s’il était possédé, puis, à force d’entendre son nom hurlé par l’enfant apeuré, le chien semble revenir à lui un instant (pour la dernière fois), et tourne les pattes, s’enfonçant à nouveau dans le brouillard. Mais le film est aussi et avant tout d’un réalisme étonnant. On se demande, dans les premières scènes, alors que Cujo n’a pas encore pété un plomb, se contentant de zoner autour de la ferme et de pioncer, la gueule infectée de sang et de pus mais les yeux couchés et l’air épuisé, comment ce bon gros Saint-Bernard pourrait devenir effrayant. Pourtant il le devient, grâce à un travail de maquillage au poil et à une direction « d’acteur » sans faille (le chien joue extrêmement bien ! c'est pas un hasard si j'ai farci l'article de photos de lui, il aurait largement eu sa place parmi les nominés à l'Oscar du meilleur acteur en 83, face à Ben Kingsley et Dustin Hoffman. Je ne vous cache pas que dans mon cœur Cujo prend Tootsie en levrette pendant que Ghandi mate assis en lotus).




Le réalisme passe aussi par des scènes d’attaque impressionnantes, où le montage est d’une précision redoutable et donne une puissance incroyable à la bête. Sans oublier le traitement des autres personnages. Leur comportement est parfaitement crédible d’un bout à l’autre du film. Depuis l’une des premières scènes, où l’on voit le petit Tadd, inquiet du noir et des monstres, qui s’apprête à éteindre la lumière de sa chambre, sur les starting blocks, dans l'idée de bientôt décoller vers son lit et sauter sur son matelas de très loin, afin bien sûr d’éviter de se faire attraper par une créature tapie sous son plumard : il se met finalement à cavaler si vite qu’il n’a pas eu le temps d’appuyer sur le bouton, et doit revenir en arrière… On peut facilement se reconnaître dans ce détail criant de vérité. L’enfant est et restera un vrai gosse. Quand le chien attaque la voiture, Tadd se met à crier et pleure, inconsolable, suppliant sa mère de rentrer à la maison. Pas d’idée d’adulte dans sa petite tête, ni de réaction héroïque, y compris quand sa mère est en train de se faire bouffer la jambe par le chien. Ni acte de bravoure, ni réaction débile, d’ailleurs, qu’il s’agisse du fils, de la mère (qui ne quitte le véhicule qu’en dernier recours), ou de tous les autres personnages. Et c’est chose rare dans les films d’horreur, il faut bien le dire.




Mais ce réalisme se teinte à nouveau d’une atmosphère fantastique, d’une bizarrerie inquiétante, quand la folie du chien, sa maladie, semble se propager. A l'intérieur de la bagnole, la mère change assez rapidement de visage, décoiffée et les yeux profondément cernés, de même que le petit Tadd, qui finit en slip, pâle, les lèvres gonflées, peinant à respirer, le regard perdu. Au chien la métamorphose en vampire, à la mère et l’enfant le devenir-zombie. C’est notamment le cas dans cette scène, qui aurait pu virer au kitsch mais qui fonctionne à bloc, où la mère, qui vient d’essuyer l’attaque la plus violente du chien, tombe peu à peu dans les vapes, étendue sur les deux sièges avant, sous le regard du petit Tadd, retranché au niveau du coffre de la voiture et appelant sa mère : la caméra, plantée entre les deux, au milieu du véhicule, tourne sur son axe dans un panoramique horizontal à 360°, ralentissant légèrement à chaque fois qu’elle passe devant la mère ou l’enfant, avant d’augmenter sa vitesse de rotation au fur et à mesure que Donna perd connaissance. Une force centripète maintient les deux personnages en apnée dans un lieu de plus en plus étroit et leur vertige est communicatif, qui entre en écho avec ce chien qui tourne autour de la voiture en panne, puis avec le petit Tadd qui, asthmatique et victime de la déshydratation comme du manque d’oxygène, finira par perdre conscience à son tour, les yeux révulsés.


 


On aura eu l’impression d’y vivre un peu, dans cette épave menacée, et on ne regardera plus les Saint-Bernard de la même façon après avoir croisé Cujo, ce monstre dont toute la force est non seulement d’être une incarnation de l’innocence tournée en créature féroce, mais de rester une simple bête, un chasseur, présent, patient, sans mobile et sans conscience, prêt à tout pour tuer, en toute simplicité.


Cujo de Lewis Teague avec Dee Wallace, Danny Pintauro, Daniel Hugh Kelly et Christopher Stone (1983)

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