18 mai 2024

Le Règne animal

Thomas Cailley l'ignore, car on ne peut vivre l'esprit tranquille en sachant quelque chose comme ça, mais il y a quelque part sur le coin du globe, et pas si loin que ça quand on fait zoom arrière sur google earth, une personne qui veut sa peau, qui se "le ferait" si c'était possible, qui ne manque jamais une occasion de le vouer aux enfers et de le rabaisser plus bas que terre, et qui se présente lui-même comme "son ennemi juré". Cette personne-là nous est proche et a un certain ascendant sur nous, un lien de filiation, pour ne pas parler d'influence, quand bien même on essaie aujourd'hui encore de rompre avec tous ses préceptes et ses combats de soixante-huitard contre toutes les valeurs du monde actuel et passé. Cette personne-là est pour nous dieu le père et un contre-modèle à la fois. Il est l'exemple à ne pas suivre, tous ses moove sont dangereux et ses leçons de vie sont pétries d'anti-matière. Toutes les morales et autres aphorismes qu'il délivre depuis le couvert de sa moustache sont autant de gousses d'ails accrochées autour de la porte du bonheur pour les vampires que nous sommes. Mais on ne peut s'empêcher de prendre en compte ses dires, même quand il débloque et, selon ses propres mots, "part dans tous les sens". Pire, on finit par adopter ses visions méphitiques de collapsologue convaincu et de prédicateur fou. Bien que récemment réduit physiquement par un coup du scorpion mal négocié au ping pong qui a fait de son genou l'équivalent anatomique d'une bouillabaisse (si on regarde sa dernière radio on se demande comment il continue de marcher avec un axoa de veau à la place des croisés), sa hargne morale et métaphysique contre Thomas Cailley est toujours aussi pure et aiguisée. Normalement on s'adoucit avec la maladie, on prend du recul, on pardonne. Mais lui, qui dit souvent être "né de mauvais poil et fatigué", mais qui ne va jamais se coucher de bonne heure par esprit rebelle de black bloc sur le retour, ne pose aucune limite à sa haine, à sa hargne, d'autant plus folle que très réfléchie, posée, consentie. Aucune impulsivité là-dedans, rien que de très conscientisé.




Cette haine a vu le jour lors de la projection en salle du Règne animal, de Thomas Cailley. Depuis ce jour, le godfather n'arrête pas de dire "trèèèèès mauvais film Le Règne animal", à la moindre occasion. Il suffit qu'il entende, lors d'une conversation avec de vieux éleveurs ou tondeurs du cru, le mot "animal", qui revient assez souvent dans son milieu socio-professionnel (l'élevage de moutons), pour qu'il répète encore "Très mauvais, Le Règne animal". Idem quand il ouït le mot "règne", certes plus rare. Ou le mot "le". Et quand il sort du moindre film un peu moins pire à ses yeux que celui de Thomas Cailley, il y revient quand même : "C'est tout de même mieux que Le Règne animal". Avec ses mille et une variantes : "Enfin c'est pas pire que Le Règne Animal". Ce titre est devenu un juron pour lui. Il murmure parfois juste "Le Règne animal...", même tout seul, quand quelque chose lui déplaît, quand il cogne son orteil contre le pied de la table basse, quand il masse le bo bun aux nems qui lui sert de genou, ou qu'il peste contre la vie. Même devant un très mauvais PSG - Lille (0-0), regardé sur une tv 4/3 à Tarbes chez sa fille, il peut se soulager en se relevant du canapé et en massant toujours son genou fumé en charpie, et clamer : "ça reste un meilleur spectacle que Le Règne animal". Mais "très mauvais" restent les deux arguments principaux de l'aïeul contre l’œuvre de Cailley. Si on lui demande de développer, il cite des éléments du film et les qualifie de ces deux mots : "Romain Duris, très mauvais", "le scénario, très mauvais", "la mise en scène, très mauvais...". Il n'a aucune bille contre le film, sinon les différentes façons dont il prononce ces deux mots, avec des variations à la Cyrano : agressif, "Très mauvais !", désespéré : "très mauvais !", agacé : "très mauvais", primesautier : "très mauvais", glacial : "très mauvais", sec : "très mauvais", froid : "très mauvais", la bouche pleine : "très mauvais", en portant un toast : "très mauvais", en éteignant sa lampe de chevet : "très mauvais", et j'en passe.




Peut-être que la bienveillance naturelle et générale à l'égard de ce film certes insipide mais inoffensif et plein de belles et bonnes valeurs (accepter la différence, accepter les bêtes, accepter la tronche du jeune premier, bref, accepter), tel un virus de positivité et d'encouragement à réinvestir les salles de cinéma pour une production française coûteuse, ambitieuse, contenant deux trois effets spéciaux numériques (dinguerie !) a contribué à mettre les nerfs en pelote de l'ancêtre. C'est comme le COVID, certains se le chopaient six fois, d'autres n'en voyaient pas l'ombre et continuaient d'enculer les mouches peinards. Là c'est pareil mais inversé (pas sûr de comprendre nous-mêmes ce qu'on écrit). Quand tout le monde baignait dans l'empathie pour Thomas Cailley, du dernier port-de-boucain en claquettes aux tenanciers d'une chaire à l'Académie des César (ceux-ci qui séparent toujours l'homme de l'artiste quand ça tombe bien pour eux), le paternel broyait du noir, échafaudait les plans les plus machiavéliques et compliqués pour nuire à l'auteur du film, toujours menacé de mort à ce jour. Drôle de paradoxe... Se dire : Je suis cinéaste, je fais des films ouverts et inclusifs, qui aspirent à une humanité meilleure et veulent réconcilier les gens, les réunir au cinéma, leur faire passer un doux moment, je vis pour mon travail, je cotise, je veux plaire aux plus petits comme aux plus grands, je suis un amuseur, un montreur d'images, un marionnettiste, un raconteur d'histoires, un enfant de la balle, un griot, et pourtant un retraité audois armé jusqu'aux dents d'armes blanches létales et de bombes chimiques veut juste me retirer la peau et en faire son paillasson d'entrée, tatoué non pas "Welcome", juste "très mauvais".
 
 
Le Règne animal de Thomas Cailley avec Romain Duris, Paul Kircher et Adèle Exarchopoulos (2023)

12 mai 2024

Riddle of Fire

Persuadés d'avoir acheté des tickets pour Nipples of Fire, force est de reconnaître que nous avons été cueillis à froid et que nous nous attendions à un tout autre spectacle. Il faut dire que celui-ci nous a été recommandé par notre "éducateur", et nous ne connaissons que trop bien son passif avec le cinéma pour adultes pour avoir été trop longtemps en concurrence avec lui lors de la course à la zappette des premiers samedis du mois, à l'époque où Philippe Vandel, notre "guide spirituel", occupait une place si chère dans nos cœurs (à 12 ans, nous nous habillions déjà d'un t-shirt XXS à l'effigie des Stones sous une veste de costard noire, un jean taille basse et des converses blanches). Les conseils de notre "grand frère", on s'en méfie depuis cette sinistre époque où, seul pourvoyeur de films empruntés au vidéo-club, celui qu'on devait appeler "l'aïeul" choisissait systématiquement, parmi la pléthorique offre de films en tous genres, les romcoms d'un autre âge signées Edward Burns, rangées dans le rayon "daubasses", ce qui correspondait alors à ce qui se faisait de pire en termes de cinéma d'auteur indépendant américain. La trace laissée par Ed Burns dans l'histoire du 7ème art équivaut celle du lisboète et soi-disant footballer avant-centre Vitinha dans le cœur des olympiens de la cité phocéenne. Heureusement, celui que l'on considère comme une souche pour nous et notre évolution sur cette terre, aka toujours notre éducateur spé, Ra'lex "The Rock" de son prénom, a visé un peu plus juste et un peu plus haut avec Riddle of Fire, film pour enfants qu'il est allé voir sans les siens, en bon père dépourvu d'autorité (mais quel éducateur modèle : c'est bien simple on lui doit tout, y compris d'avoir échappé à la zonzon quelques fois - il y est allé pour nous, lui et son cœur gros comme aç).




Qu'est-ce qui est fragile, mignon, éphémère et s'essouffle vite ? Un bouledogue français ? Ousmane Dembélé ? Un joli coquelicot ? C'est vrai mais pas seulement. Ajoutez à cela le premier long métrage de Weston Razooli dont nous vous déconseillons fermement de checker la ganache sur google tant il a un physique instable capable de tirer sur les nerfs les plus solides. Ce n'est pas un hasard s'il s'est lui-même attribué le rôle du gros débile de service dans son film. Son apparition coïncide d'ailleurs avec la grosse chute de tension de Riddle of Fire, qui démarrait plutôt très bien, sachant nous emporter avec sa petite bande de gosses très sympathiques, partie à l'aventure équipée de motocross et de pistolets à air à la recherche des ingrédients de la tarte aux myrtilles préférée de leur maman malade dans le seul but de décrocher le mot de passe débloquant la télé et permettant à la joyeuse petite bande de s'éclater sur un jeu vidéo. A partir du moment où leur course folle croise celle d'une bande de braconniers à la solde d'une sorcière taxidermiste, le rythme du film patine, on commence à trouver le temps long, tout devient plus laborieux et l'absence de vrai gag n'aide pas à se passionner pour les tribulations de tous ces personnages faiblards qui gravitent autour des gosses. 




Un tel film aurait dû savoir limiter ses ambitions à 1h15 de pellicule bien tassée et sans faux-col, histoire d'avoir plus de chances de rester sur le bel élan initial et de ne jamais ennuyer. Au contraire, il perd son temps et nous donne l'opportunité de regretter ses faiblesses, comme celle de s'inscrire tambours battants et sans retenue dans la mouvance nostalgique actuelle, alignant les références et allusions aux classiques du film pour enfants des années 80, des Goonies à Princess Bride en passant par Stand by Me ou Beyond The Green Door. Le tout filmé en pellicule kodak et sans mise au point, sur fond de dungeon synth à fond les ballons, cette musique électronique inspirée des jeux vidéos RPG à l'ambiance médiévale des années 80 et 90, autant d'emballages qui en rajoutent une louche dans le registre de la connivence générationnelle. 




Néanmoins, le film, pour toujours rattaché à notre éduc spé (qui a pourtant grandi dans les années 60, dans une ferme isolée de l'Aude, et n'a jamais tenu une manette ou un joystick de sa vie), et vu dans les meilleures conditions possibles (à savoir une salle archi vide, tempérée, la petite sacoche de car-en-sac dans la poche, le pistolet à air comprimé à la ceinture, le t-shirt Atari qui va bien, les Converse sur le siège de devant, un mister freeze dans chaque bouche, le walk-man autoreverse branché sur Tangerine Dream temporairement mis sur pause - ce qui ne change rien -, la version longue du Silmarillion dans la banane, la casquette "I want to believe" vissée au crâne, le scoubidou au poignet), suscite très clairement notre bienveillance et notre critique est positive. Vous chercherez peut-être à lire entre les lignes, à les espacer avec un logiciel word, interligne 4,5, pour trouver des compliments, ou à ne garder que la première majuscule de chaque phrase pour déceler un point positif (on va vous épargner, ça donnerait un truc du genre : "UALNV"... soit quetchi, c'est même pas une sous-marque Décathlon), mais pas la peine, si on le dit, ça suffit. Comme dirait cette teubée achevée d'Oudéa Castera, réduisant tout le 1984 d'Orwell à du pipi de chat : nous n'avons pas menti, quand bien même la réalité nous donne tort.


Riddle of Fire de Weston Razooli avec Skyler Peters, Phoebe Ferro et Charlie Stover (2023)

28 avril 2024

Sick

Les amateurs semblent d'accord sur ce point et j'aurais plutôt tendance à les rejoindre : avec John Hyams, artisan appliqué déjà auteur de l'efficace Alone, c'est bien simple, on a ce que l'on est venu chercher, ni plus ni moins. Scénarisé par Kevin Williamson qui, rappelez-vous, avait totalement relancer le genre en écrivant Scream, Sick est un slasher au temps du COVID. Deux amies s'isolent dans une immense baraque à la campagne où elles sont prises en chasse par un tueur soucieux de les exterminer tout en rappelant l'intérêt de respecter les gestes barrières. Inutile d'en dire plus sur un film court et direct qui, comme tout bon slasher, s'ouvre par une scène de meurtre assez intense lors de laquelle le cinéaste, décidément à l'aise dans cet exercice, annonce la couleur : cela sera sec et brutal. C'est en effet la mise en scène énergique de John Hyams qui fait ici toute la différence, le scénario de Kevin Williamson s'avérant efficace, certes, mais sans grande surprise, trouvant seulement dans la pandémie un prétexte pour, attention au spoiler, motiver les actes de tueurs remontés comme des pendules (oui, tueur de nouveau au pluriel, Kevin Williamson aimant décidément user de ce ressort scénaristique tout bête qui avait déjà contribué au suspense du film à succès de Wes Craven). Après une mise en place qui aurait encore gagné à être plus rapide, on se laisse donc prendre à un pur jeu du chat et de la souris plutôt bien mené et ma foi divertissant. Les deux héroïnes, incarnées par Gideon Adlon et Bethlehem Million) ont le mérite de ne pas être trop agaçantes et leurs physiques, pour une fois très ordinaires, ne constituent guère un point d'ancrage de la caméra (les temps ont décidément changé). Le décor, un grand chalet isolé au bord d'un lac, est plutôt astucieusement utilisé. Et le film parvient à monter en tension jusqu'à un final qui scotche convenablement au fauteuil et a le bon goût de se clore sur une combustion au petit matin du plus bel effet. Rien d'extraordinaire, donc, mais un slasher qui fait le job et, en se contentant seulement de cela, parvient déjà à se distinguer du tout-venant. 


Sick de John Hyams avec Gideon Adlon, Bethlehem Million et Marc Menchaca (2022)

21 avril 2024

Alone

Je pensais avoir affaire au premier long métrage plutôt prometteur d'un jeune cinéaste à suivre, désireux de se spécialiser dans le cinéma de genre. Je croyais aussi être devant une création originale, un film au scénario si minimaliste et familier qu'il ne pouvait pas s'inspirer d'une œuvre antérieure dont la singularité aurait été jugée suffisamment grande pour justifier une copie américaine. J'avais tout faux ! Alone est le remake d'un thriller suédois sorti en 2011 et a été mis en boîte par John Hyams, le fils de Peter (Outland, Capricorn One, Relic...), c'est un réalisateur de 56 ans déjà assez chevronné (il signe là son sixième film) qui a surtout œuvré dans le cinéma d'action (deux suites d'Universal Soldier au compteur). En fin de compte, heureusement que j'ignorais tout ça car, animé d'un dédain plutôt compréhensif pour la filmographie peu ragoûtante de Hyams et un énième remake US, je n'aurais peut-être pas laissé sa chance à ce film. Or, Alone s'avère être une petite bobine horrifique tendue comme une arbalète et ma foi plutôt pas mal, dans sa modeste catégorie.




Le pitch est archi simple, ou quand un thriller routier classique se transforme en un survival pur jus : une jeune femme prenant la route seule se retrouve aux prises avec un pur taré qui la harcèle en bagnole avant de la séquestrer dans une cabane au fond des bois. La victime parvient à s'échapper et doit alors survivre dans la forêt tout en échappant au psychopathe, toujours à ses trousses. Trois acteurs, deux bagnoles, une cabane... c'est à peu près tout ce qu'il faut à John Hyams pour pondre une série b efficace qui parvient rapidement à nous choper par le colbac. Le cinéaste peut s'appuyer sur la prestation convaincante de son actrice principale, Jules Willcox, mise face à un Marc Menchaca qui peut quasi faire une croix sur les rôles de chics types tant il est crédible dans la peau de ce salopard XXL.




J'ai peut-être préféré la première partie du film, sur les routes, où l'on peut encore douter, quand on est très naïf, de la dangerosité du maniaque en présence, à la deuxième, plus prévisible et gâchée par quelques facilités et autres petites incohérences gênantes dont aurait très bien dû pouvoir se passer un scénario si rudimentaire. Malgré tout, j'étais plutôt scotché tout le long, et les films de ce genre-là qui parviennent à me captiver se font de plus en plus rare. Je ne sais pas si c'est gage de qualité, mais force est de reconnaître que John Hyams se montre parfois très habile pour mettre en place une tension palpable, certaines scènes sont d'une efficacité redoutable, et la toute fin est à la hauteur. Artisan appliqué, il va droit au but et nous propose exactement ce que l'on attendait en lançant son film, ni plus ni moins. C'est déjà ça...
 
 
Alone de John Hyams avec Jules Willcox, Marc Menchaca et Anthony Heald (2020)

23 mars 2024

Chasse à mort

J'ai eu la mauvaise idée de regarder ce film en version originale. Quelques répliques valent déjà leur pesant d'or en anglais, alors j'ose à peine imaginer le régal que ça doit être avec le doublage français de la belle époque. Les personnages s'envoient invectives sur invectives, la plupart du temps de manière assez gratuite, pour le simple plaisir du bon mot, en riant entre eux de bon cœur. Et il y a aussi ces fameuses petites phrases, éructées par un acteur hors champ, au loin, mais bel et bien audibles, commentant délicieusement la situation, et qui ajoutent encore à la beauté de la chose. Par exemple ce terrible "Blew that son of a bitch sky hiiiiiigh ! Yoouhoou", lâché d'un seul jet, aigu et rocailleux, hilarant, dans l'enthousiasme général, au moment où des bâtons de dynamite sont joyeusement balancés sur le toit de la cabane de Bronson. Sans doute ma préférée du lot ! Bref, il y a largement là de quoi embellir encore tout ça dans la langue de Molière, parfois si inventive quand il s'agit de faire honneur à ce genre de péloches des années 80. Étrange que je loue un tel film pour ses dialogues, non ? Et pourtant... Il faut dire que le reste est assez téléphoné. On tient là un film d'action bien de son temps qui, prétextant se baser sur une histoire vraie, celle du trappeur fou Albert Johnson, déroule un programme archiconnu et semble se contenter du charisme de ses deux stars, Lee Marvin et Charles Bronson, mises face à face au cours d'une chasse à l'homme particulièrement sanglante et meurtrière dans les reliefs enneigées.


Bronson et Marvin respectent avant l'heure la distanciation sociale. Ils ne seront jamais plus proches l'un de l'autre.

L'action se déroule à l'extrême nord ouest du Canada, à la limite avec l'Alaska. Lee Marvin est un sergent chevronné de la gendarmerie royale, qui essaie de couler des jours plutôt tranquilles à Aklavik, noyant son ennui dans l'alcool. Il gère les agités du coin sans faire de vague, quitte à les laisser s'autogérer, mais se voit un maudit jour contraint d'intervenir pour mettre au clair une sombre histoire de règlement de comptes suite à l'achat plus ou moins consenti d'un chien de combat par Charles Bronson. Décrochant rarement les mâchoires, dans un rôle qu'il connaît par cœur, Bronson incarne donc un trappeur solitaire habitué à la vie au grand air et sachant parfaitement manier le fusil. Le genre de type que l'on n'a pas envie d'aller titiller... mais ça, les autres guignols de ce bled sont trop idiots pour s'en rendre compte, à commencer par Hazel, celui qui souhaite récupérer son clébard par la force. Seul Lee Marvin comprend tout de suite à qui il a affaire et un respect mutuel lie immédiatement les deux hommes. La relation à distance qui se noue entre eux, surtout faite de regards lointains qui en disent longs (parfois échangés via une longue-vue !), est d'ailleurs l'autre petit intérêt du film. Elle permet de justifier un dénouement qui satisfait toutes les parties, spectateurs compris. La liberté pour Bronson, qui file en Alaska après avoir échappé à tous ses poursuivants ; la tranquillité pour Marvin, dont les mines exaspérées nous avaient d'emblée fait comprendre qu'il préfèrerait franchement passer ses journées à autre chose.


Lee Marvin entouré de ses deux acolytes : à sa droite le jeune gendarme venu de la ville, régulièrement moqué par ses collègues pour son manque d'expérience, à sa gauche Carl Weathers, qui n'a pas oublié son plaid porte-bonheur.

En dehors de ça, les scènes d'action ne sont pas spécialement bien troussées. C'est un dénommé Peter Hunt derrière la caméra. Son blaze ne vous dit rien ? Normal... et pas trop étonnant vu ce dont il se montre capable ici. Rien de honteux, mais le minimum syndical : on comprend ce qui se passe, quoi. Les morts s'accumulent, les balles fusent, le sang gicle, là-dessus pas de problème, Hunt, au patronyme prédestiné, se montre généreux. Le comportement des personnages est parfois assez risible, comme ce pilote obnubilé par sa cible et la récompense promise (la tête de Bronson est rapidement mise à prix, pour une bonne somme, ce qui a pour effet d'ameuter toute la région à ses trousses), au point de finir son vol piteusement, sur le flanc d'une montagne. Les derniers plans sur le sourire baveux hystérique du pilote débile comptent parmi les plus mémorables du film. Je me souviendrai également de cette anecdote sortie de nulle part au sujet d'Hazel, l'immense abruti à l'origine de tout ce merdier. C'est Carl Weathers, ici dans le rôle de George Washington Lincoln "Sundog" Brown (le plus souvent désigné "you black bastard" avec une réelle affection par son ami Lee Marvin), qui nous la raconte calmement au coin du feu, le sourire aux lèvres. A celui qui demande tout haut "Hazel... That's a girl's name, isn't it ?", Weathers répond tout naturellement "The way I hear it told, Hazel's mama didn't know if he was a boy or girl 'till he was about 15. She didn't much care a few years later when he turned vicious." 


Chasse à mort de Peter Hunt avec Lee Marvin, Charles Bronson et Carl Weathers (1981)

17 mars 2024

La Promesse d'une vie

Devant un tel film, il y a deux solutions : soit on coupe net au bout d'un quart d'heure, comprenant bien vite à quoi on a affaire, persuadé que l'on ne va pas supporter la tonne de guimauve promise et les lourdeurs terribles de ce qui s'annonce d'emblée comme un gros mélo d'un autre âge ; soit on décide de prendre tout ça au second degré, d'en rire, et on se donne ainsi la chance de peut-être passer un bon moment, à condition d'être dans un bon soir évidemment... Pour son premier film en tant que réalisateur, Russell Crowe a vu les choses en grand et a choisi de chausser ses plus gros sabots. On croirait qu'il a retenu le pire de tous les cinéastes avec lesquels il a pu tourner. C'est dingue ! Ses scènes préférées de Gladiator, ne cherchez pas, ça doit être ces passages sépia particulièrement hideux où l'acteur passe sa main dans les hautes herbes, en repensant à sa femme et à son gosse assassinés, avec une musique plaintive ridicule en fond sonore. La Promesse d'une vie pèse lui aussi des tonnes et des tonnes. On a droit à tout, aucune économie dans les effets, tout est au service d'un style ampoulé que l'on croyait bel et bien éteint : des flashbacks improbables et répétitifs, des ralentis miteux et de très mauvais goût, une musique pleine d'emphase, des grands sentiments en veux-tu en voilà, des décors grandioses ou en carton pâte, etc... On n'est jamais dans l'entre-deux, c'est tout ou rien avec Russell, on aurait pu s'en douter.


Dès la première scène, Russell démontre ses talents de sourcier et creuse un gigantesque puits à la seule force de ses bras.

L'acteur-réalisateur s'est attribué le beau rôle, il est le water diviner du titre original, le sourcier, le valeureux et pieux australien doté d'un don pour deviner où l'eau se cache dans les sols arides de son pays. Le malheureux vient de perdre ses trois fils dans la bataille des Dardanelles, dont la reconstitution est tout simplement à pleurer. Après la mort de sa femme devenue dépressive au dernier degré, Russell Crowe n'a plus qu'un seul but : retourner en Turquie pour retrouver les restes de ses enfants et les enterrer auprès de leur mère. Une fois arrivé là-bas, le hasard l'amène à séjourner dans un hôtel tenu par une jeune veuve qui a les traits avantageux d'Olga Kurylenko et ne sera pas insensible au charisme irrésistible et à la sensibilité à fleur de peau de ce père brisé... Je préfère m'arrêter là car je serai tenté de tout vous raconter tant c'est too much. Dites-vous que même en plein âge d'or hollywoodien, peu de réalisateurs de la belle époque auraient été capables de transformer ce scénario de malheur en quelque chose de digeste. Russell Crowe, lui, a pondu une daube XXL comme on en croise finalement assez peu, le genre de films à regarder de préférence en groupe, entouré d'autres amateurs de plaisirs déviants, capables de reconnaître le comique involontaire de certaines situations tordantes et d'apprécier chaque facéties de la star omniprésente, derrière et devant la caméra.


Olga enseigne à Russell comment lire dans le marc de café. L'élève n'a d'yeux que pour sa prof.

Car il y a là de quoi se marrer franchement plus d'une paire de fois. Je me suis repassé en boucle certaines scènes, suscitant de nouveau l'incompréhension totale dans mon propre foyer... Il faut par exemple voir ce passage invraisemblable où Russell Crowe, embarqué clandestinement dans un train aux côtés de résistants turcs, explique en aparté à l'un d'eux le jeu du cricket, avant qu'ils se lancent tous avec un enthousiasme à peine contraint dans une partie improvisée en plein wagon... J'ai beaucoup aimé cet autre moment touchant où Olga Kurylenko s'inquiète de l'alimentation de son hôte, sur le point de partir à l'autre bout du pays à la recherche de l'un de ses fils peut-être encore en vie. "Vous n'allez pas partir le ventre vide ?" lui demande t-elle avec un regard soucieux et chargé de tendresse. Cut. Le plan suivant, nous les découvrons attablés tous deux devant un festin, éclairés par une centaine de bougies, dans un décor au romantisme kitsch rarement égalé, en train de se raconter leurs vies en se regardant dans le blancs des yeux. Quel grand sentimental ce Russell !


La partie de cricket est brutalement interrompue. Dommage, nous étions en plein délire !

Quelques répliques valent leur pesant d'or, surtout pour les tronches que tirent les acteurs en réaction (Yimlaz Erdogan excelle en la matière) ou les petits silences étranges qui les précèdent. Faut dire que c'est écrit à la truelle. Tous les comédiens en font des caisses, s'alignant sur leur leader Russell, dont le regard de chien battu et les mimiques si maîtrisées nous rappellent qu'on l'aime bien, au fond. Tels les plus grands, Russell Crowe sait aussi nous quitter sur une dernière note inoubliable. L'ultime scène du film correspond aux retrouvailles inévitables entre Olga et lui. Pour faire comprendre à Russell qu'il est plus que le bienvenu, la belle lui sert une tasse de café débordant de miel, en référence à une anecdote qu'elle a auparavant partagée avec lui (selon les traditions ottomanes ici véhiculées, plus le café est sucré, plus la personne serait désirée). Constatant cela en faisant émerger de sa tasse un morceau de miel noir infâme avec sa cuillère, Russell Crowe se lève alors d'un coup d'un seul, droit comme un I, et adresse son sourire ravageur à sa partenaire, comme s'il voulait lui dire "Message reçu ! On monte dans la chambre maintenant ?!". Clap de fin, fondu au noir sur la gueule radieuse de notre homme. Merveilleux ! Le film nous rappelle alors qu'il y a là quelque chose de très naïf, de simple, de sincère, qui empêche de prendre complètement en grippe son auteur. Sa crédibilité en tant que cinéaste et artiste est réduite à néant, mais son capital sympathie n'est guère entamé. On ne t'en veut pas Russell, tu nous auras bien fait marrer !


La Promesse d'une vie de Russell Crowe avec Russell Crowe, Olga Kurylenko et Yilmaz Erdogan (2015)

28 février 2024

Gueules noires

Je n'avais encore jamais vu de film de Mathieu Turi, jeune cinéaste français spécialisé dans l'horreur qui sévit depuis un peu plus de dix ans maintenant, dans une relative discrétion. L'argument lovecraftien m'a cette fois-ci permis de sauter enfin le pas. Son troisième long métrage nous plonge dans les mines du Nord de la France où, chargée d'accompagner un scientifique dans les tréfonds de la terre, une bande de mineurs réveille par mégarde une divinité monstrueuse. L'idée, pas si saugrenue, de croiser Germinal et Cthulhu aurait pu donner un ersatz sans grand intérêt de The Descent ou un énième survival prévisible de bout en bout. Mais, animé d'une belle conviction, épaulé par une petite troupe d'acteurs sympathiques, et fort d'une perspicacité devenue trop rare pour certains aspects décisifs du projet, Mathieu Turi emporte rapidement notre bienveillance et, en fin de compte, réussit globalement son film. 




Déplacer la mythologie lovecraftienne, ou du moins certains de ses éléments caractéristiques, dans une zone ouvrière marquée par la rudesse des paysages, des hommes et de leur travail s'avère malin et judicieux. Dès les premières minutes, un soin particulier est apporté à la reconstitution de l'époque et de l'univers minier. Avec simplicité, sans trop appuyer le trait, le réalisateur plante le décor habilement, efficacement. On pourra éventuellement regretter, a posteriori, cette scène d'introduction pas forcément utile qui a pour seul intérêt de nous éclairer sur ce qui nous attend, au détriment de l'effet de surprise à venir. Peut-être s'agit-il là de l'expression d'un léger manque de confiance d'un cinéaste qui aurait peur, sans ce stratagème archiconnu des amateurs de frissons, de ne pas accrocher son public ou de l'ennuyer. Reconnaissons toutefois que l'ambiance est déjà plutôt réussie lors de ces sombres premières minutes qui sont accompagnées des chants traditionnels des mineurs. 




Après cela, sur un rythme bien mené mais tout en prenant le temps de croquer ses personnages en quelques coups de pinceaux, Mathieu Turi nous amène dans les profondeurs du sol. Les emmerdes s'amoncellent progressivement pour nos mineurs rapidement coincés, et en très mauvaise compagnie, dans des galeries souterraines sans lumière. A ce propos, la lumière du film est très bien gérée. C'est hélas suffisamment rare pour être signalé. Mathieu Turi n'a pas peur du noir et rend cohérent l'environnement dans lequel nous baignons, où l'on ne voit quasiment rien en dehors de ce qui passe dans l'halo lumineux de vieilles frontales frémissantes. Le réalisateur sait que repose là-dessus une bonne part des frayeurs que son film veut provoquer. Autre choix particulièrement salutaire : celui d'opter pour les effets spéciaux pratiques (costume, maquillage et prothèses animées mécaniquement) pour donner vie à la fameuse créature. Celle-ci ne déçoit pas. Son charme certes fragile mais rayonnant ravira les fans d'horreur lassés des CGI sans âme qui peuvent grandement contribuer à flinguer ce genre de films.




Le casting s'avère aussi payant. On est content de retrouver ce bon vieux Sam Le Bihan, lui dont les choix de carrière traduisent une réelle appétence pour le genre. Il est crédible en mineur blasé et bourru, leader d'une équipe dont chaque membre est rapidement épinglé. Phil Torreton fait une brève mais convaincante apparition en directeur de mine corrompu. Jean-Hugues Anglade est également excellent en scientifique perfide qui planque de lourds secrets, je ne l'avais même pas reconnu sous son casque. Il lit l'équivalent du Necronomicon avec une belle terreur dans la voix, comme s'il découvrait les célèbres mots de Lovecraft. "N'est pas mort ce qui à jamais dort...". Alors certes, le troisième long métrage de Turi évoque un bon lot d'autres œuvres plus marquantes, telles qu'Alien ou The Thing, mais l'amour sincère qu'il véhicule pour le genre et la saine humilité avec laquelle il a été réalisé le rendent tout à fait recommandable. Une bonne surprise que ce film à la fois ambitieux et conscient de ses propres limites, respectueux des spectateurs et de l'écrivain auquel il rend hommage, signé d'un réalisateur que je suivrai désormais d'un peu plus près. 


Gueules noires de Mathieu Turi avec Samuel Le Bihan, Jean-Hugues Anglade, Amir El Kacem et Philippe Torreton (2023)